Le vent souffle en Oklahoma : La note Américaine de David Grann


J'aime recevoir des cadeaux. Rien d'original. Je ne me rappelle pas avoir entendu quelqu'un dire : "les cadeaux c'est trop nul, c'est pour les nazes, moi je préfère recevoir des coups de pied aux fesses et manger des choux de Bruxelles". Si vous vous reconnaissez dans cette description, je peux vous donner le numéro de ma psy. A cent euros la séance, vous comprendrez très vite que les cadeaux c'est quand même plus agréable.

Monsieur Lenneth rentre du travail et sort de son sac à dos plus vieux que la plus vieille de mes culottes un petit livre qu'il me remet en me disant "tiens je pense que cela va te plaire". Je ne suis pas une personne très délicate, j'ai dû répondre un truc du genre "c'est quoi ?", faisant joliment ressortir mon accent du Nord. Il me remet alors en mémoire l'interview de David Grann dans l'émission 28 minutes sur Arte. Un journaliste du New Yorker, un magazine qui brille par la qualité d'écriture des personnes qui y travaillent et qui décrit la vie culturelle de la ville de New York. Je me sentais plutôt classe à Central Park avec The New Yorker dans les mains. J'avais effectivement été très intriguée par son travail, j'avais le nez qui frémissait et les yeux qui brillent, ce qui en général est le signe chez moi d'une envie pressante de courir vers la librairie la plus proche.
Je regarde le titre, la quatrième de couverture puis mon cher et tendre. J'ai ma prochaine lecture entre les mains.


1921, Oklahoma, communauté osage de Gray Horse. Mollie Burkhart est inquiète car sa sœur Anna a disparu. Elle ne l'a pas revue depuis trois jours. Anna lève le coude facilement, aime faire la fête mais ne pas venir chez Mollie, il y a quelque chose qui cloche. Quand en plus, se répand la nouvelle de la disparition d'un autre Osage la semaine précédente, Charles Whitehorn, l'angoisse monte d'un cran mais Mollie continue d'espérer. Sa sœur mène une vie de bamboche alors son attitude peut parfois être imprévisible.

Une semaine après sa disparition, elle est retrouvée, morte, en piteux état, près de la berge d'un ruisseau. Dans le même temps, le corps putréfié de Whitehorn est découvert près d'un derrick. De suite, les autorités locales comprennent qu'il ne s'agit pas de suicides ou d'accidents. Les autopsies sont formelles, ce sont des meurtres. Et puis ça continue, d'autres crimes, d'autres disparitions, des incendies, des empoisonnements. Triste période appelée par les Osages "le règne de la terreur".


Disparitions et assassinats. Tout cela ressemble à un simple fait divers et puis à l'époque on jouait de la gâchette facilement. J'imagine qu'il ne fallait pas marcher sur le pied de son voisin, au risque de finir criblé de balles. La ligne 13 du métro parisien c'est un peu le Far West parfois mais ça va on reste serein, on se contente de se donner des coups de coude.

En 1921, les peuples amérindiens ne sont pas considérés comme des citoyens américains. Un comble. Pas avant 1924 grâce à l'Indian Citizenship Act. Ne parlons pas du droit de vote, il n'est pas encore à l'ordre du jour. Vous imaginez bien que la mort de membres de l'un de ces peuples, pour les blancs, cela leur en touche une sans faire bouger l'autre. Les Osages, obligés de vendre pour une bouchée de pain leurs terres du Kansas se sont installés dans l'Oklahoma, ils achètent des terrains et réussissent à intégrer une clause dans le contrat : "Tout pétrole, gaz, charbon ou autres minerais sur ces terres [...] sont par la présente, réservés à la tribu." C'est gros mais ça passe. Les Osages savaient pour le pétrole, ils sont désormais extrêmement riches. Celui-ci est alors exploité par des compagnies pétrolifères qui doivent payer des redevances aux propriétaires des terrains concernés. Jackpot pour les Osages. Cependant, ils restent sous curatelle. Oui, les peuples amérindiens sont sous curatelle, ils ont de l'argent mais ne décident pas de ce qu'ils peuvent en faire. Ils sont considérés comme des mineurs mais toute leur vie. Le mari de Mollie par exemple est son curateur. Prenons un autre exemple, une personne mal intentionnée, souhaitant se faire de l'argent facilement, peut se dire qu'elle peut récupérer un beau petit magot en épousant un membre de la tribu, le faire disparaître et hériter de toutes ses richesses. Vous voyez où je veux en venir ?


Tous ces crimes font donc un peu désordre quand même car ce sont les familles d'Osages les plus riches qui sont touchées ou des personnes qui semblent avoir des informations pas très propres à communiquer. Le BOI (ancêtre du FBI) finit par ouvrir une enquête. A sa tête, John Edgar Hoover qui envoie une équipe sur place. Celle-ci est dirigée par Tom White. Le but d'Hoover n'était pas spécialement de rendre justice aux Osages mais plutôt de montrer ce qu'il savait faire, quelles nouvelles méthodes il souhaitait mettre en place, prouver ainsi qu'elles étaient efficaces et devaient être généralisées. Tout pour sa pomme, regardez moi je suis le meilleur. White et son équipe, de leur côté, investiguent, posent des questions, s'interrogent et bingo réussissent à résoudre l'affaire.


David Grann retrace toute l'enquête avec il faut imaginer une montagne de documents, de sources et d'archives. Cependant, il va plus loin, décide de reprendre le dossier, vérifier s'il n'y a pas eu des erreurs dans les investigations, quelques petites failles, des informations qui seraient passées à la trappe, empêchant ainsi l'affaire d'être totalement résolue. Alors, qu'a-t-il trouvé ?

Il entraîne le lecteur sur des voies obscures. Nous pensons toujours parfaitement savoir ce dont sont capables nos pairs et pourtant David Grann réussit à nous surprendre. La cupidité la plus crasse, une violence et un racisme qui ne disent pas leur nom. Les dés sont pipés. Les forces censées protéger les citoyens se révèlent corrompues, pourries jusqu'à la moelle. Ah oui c'est vrai, les Osages n'étaient pas considérés comme des citoyens alors quelle importance. Ils sont malmenés et trompés. C'est une page sombre de l'Histoire de l'Amérique que l'auteur met en lumière. Un profond sentiment d'injustice s'empare de vous et il ne disparaît pas, il s'amplifie au fil des pages dans un premier temps puis s'incruste définitivement dans votre esprit après avoir fermé le livre.


À lire, à découvrir

La note américaine de David Grann, chez Pocket, au prix de 7,90€. Je force mais je vous invite vivement à lire ce livre passionnant. Ça se lit comme un bon thriller sauf que malheureusement c'est la réalité. L'auteur n'en rajoute pas, ce ne sont que les faits, rien que les faits. Il vous emmène dans les grandes plaines de l'Oklahoma, avec des descriptions de paysage et des photos d'époque qui renforcent l'immersion.

Le numéro 8 du magazine America se penche sur l'Amérique indienne, l'occasion de découvrir des auteurs et autrices issus des communautés amérindiennes et d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ces peuples : des dates clés, des photos, des chiffres et des conseils de lecture.

Martin Scorsese a prévu l'adaptation du livre au cinéma et il devrait y avoir DiCaprio en tête d'affiche. J'espère tout de même que des acteurs et actrices des communautés amérindiennes seront mis à l'honneur car ce sont les personnages principaux de cette histoire.

Si vous voulez plus de true crime, vous pouvez vous jeter sur De sang-froid écrit par Truman Capote. Chez Folio, 9,50€. Là aussi ne m'en voulez pas si vous n'en sortez pas indemme. Truman Capote a d'ailleurs arrêté d'écrire après ce livre, il s'est laissé bouffer par la dépression.



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