Bric à brac 2020

La vie ce sont des péripéties en veux-tu en voilà. Alors ce bilan je n'étais vraiment pas sûre de réussir à le faire. Le doute, toujours le doute qui s'insinue dans mon esprit et qui en plus était accompagné de sa copine la peur, celle qui vous fige, qui vous donne l'impression d'avoir les deux pieds pris dans du béton.
Mais c'est parti, au travail, il a fallu que je fasse le tri parmi 65 livres parce que oui évidemment je ne vais pas vous faire un topo pour chaque livre lu. Ce serait fastidieux pour moi et chiant pour vous. Alors on coupe la poire en deux, je fais une sélection et je vous épargne un billet plus long que la digestion d'un cassoulet mangé sous le soleil d'un été caniculaire. Le titre de mon billet est un gros indice, il n'y aura pas de plan bien net, de note, de classification. Je suis dans l'improvisation totale et j'espère ne pas vous perdre dans les chemins tortueux que mon cerveau va décider de prendre pendant l'écriture de cet article.

La découverte d'une autrice : Louise Erdrich


Louise Erdrich est une conteuse. Son talent m'a fait enchaîner la lecture des trois livres ci-dessus qui font partie de ce qui est appelé la Justice Trilogy. Se plonger dans les livres de Louise Erdrich c'est entrer dans un univers mêlant le réel avec des personnages bien ancrés dans le monde dans lequel nous vivons et l'irréel lorsque l'on explore les aspects magiques de la culture amérindienne. C'est tendre et violent, drôle et émouvant. Les destins des personnages se touchent, s'entremêlent et s'effleurent dans les trois romans. Il n'est cependant pas indispensable de les lire dans l'ordre de leur parution, c'est selon l'envie de chacun·e. 
 
L'autrice s'attache à mettre en valeur la culture de ses origines, à décrire ce qui a été perdu, à parler des douleurs du passé qui ont laissé des marques profondes dans le présent. Des thèmes durs autour de la violence, la fin de l'innocence, les regrets, le deuil, le racisme mais aussi de la douceur avec beaucoup d'amour, d'amitié, de moments d'espoir éclatants et d'humour (mention spéciale aux histoires de Grand-père Mooshum).
 
De la violence aux États-Unis avec Benjamin Whitmer


On ne peut pas dire que Benjamin Whitmer fasse dans la dentelle. Ses romans sont sombres et violents. Le reflet de l'histoire compliquée d'un pays. Il puise dans celle-ci pour vous immerger dans des ambiances qui vous collent à la peau. Des lectures haletantes, que je trouve très bien rythmées, avec des personnages qui n'ont jamais les fesses propres et des dialogues très vifs, très crus qui vous laissent épuisés.
 
Évasion c'est l'histoire d'une traque. Celles de prisonniers qui se sont évadés et qui sont donc poursuivis par les autorités. Des deux côtés nous avons des chiens enragés et pour les accompagner un blizzard s'est invité à la fête. On a du mal à lâcher cette cavale et on se demande bien comment celle-ci va pouvoir se terminer. 

Les dynamiteurs nous transporte dans le Denver de la fin du XIXe siècle et il ne fait pas bon y vivre. C'est une ville qui sent le soufre. Le moindre regard peut être mal interprété et alors c'est l'étincelle, l'explosion de violence. Elle est partout, à tous les niveaux, une gangrène. Tout comme la corruption qui vampirise Denver et réussit à affaiblir encore plus celles et ceux qui n'ont déjà rien. Cette histoire a par ailleurs quelque chose du roman initiatique car le personnage principal est un jeune garçon qui se retrouve embarqué dans des règlements de compte et des affaires pas très nettes, le passage à l'âge adulte se fait dans la douleur. 

Les romans de Whitmer (en tout cas ceux que j'ai lus) sont particulièrement bons quand il s'agit de créer une atmosphère étouffante qui vous prend aux tripes. Ce n'est pas dans l'écriture des personnages qu'il excelle mais toute cette noirceur où tout de même on ressent une certaine tendresse pour les protagonistes (particulièrement dans Les dynamiteurs) donne des romans palpitants, profonds et qui ont une portée politique.


Les gifles de l'année avec Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock et Mon ami Dahmer de Derf Backderf

Le Diable, tout le temps par Pollock
 
Je ne sais pas comment ça se passe pour vous mais de mon côté les lectures bien sombres, où on ne peut même plus dire que l'espoir fait vivre, ça me fait un bien fou (encore faut-il que ce soit bien écrit et bien raconté). Ce sont celles qui me font le plus réfléchir et m'emportent dans des cogitations où je me torture l'esprit : comment, pourquoi, à quel moment tout bascule et aucun retour en arrière n'est possible. Les deux lectures que je vous présente font partie de celles qui ont occupé pas mal de place dans mon cerveau durant l'année 2020. 
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États-Unis, on bascule entre l'Ohio et la Virginie-Occidentale. Plusieurs récits sordides avec des destins liés, des hommes et des femmes qui se croisent, qui finissent par suivre leur propre chemin.  Tous les personnages souffrent dans ce livre, tous des bras-cassés, des laissés pour comptes qui vivotent et glissent inéluctablement vers une vie où il y a peu de lumière et beaucoup de désillusions.  Des illuminés prêchant leur bonne parole auprès d'âmes fragiles, un road-trip meurtrier, ... 
 
Le diable, tout le temps fait partie des lectures qui vous laissent estomaqué. L'auteur ne porte à aucun moment de jugement sur ses personnages, il décrit, laisse le/la lecteur·rice mener sa propre réflexion sur ce qui peut amener ces gens à agir de la sorte, à s'enfoncer de plus en plus dans l'obscurité, dans l'effroyable. 
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Je pense que je peux avoir la prétention de dire que je me suis assez penchée sur le cas Jeffrey Dahmer en 2020 pour être devenue intarissable sur ce tueur en série. Je ne vais pas dire que je me suis passionnée pour cet homme aux choix de vie particuliers, ce serait malsain mais j'ai souvent fermé mon livre pour me poser systématiquement une question : était-il possible d'empêcher cette escalade vers le crime, l'horreur, l'abject ? La faute à Derf Backderf. Mon ami Dahmer est une BD, alors entre le propos de l'auteur qui a été un camarade d'école de Jeffrey Dahmer et ses dessins en noir et blanc, aux traits marqués, qui accentuent le malaise, on se plonge dans une lecture qui ne vous donne pas envie de sauter de joie et de taper dans les mains. 
 

L'Histoire, toujours des histoires avec Un village pour aliénés tranquilles de Juliette Rigondet et Sylvia Pankhurst, féministe, anticolonialiste, révolutionnaire de Marie-Hélène Dumas

 


J'ai lu plusieurs livres d'Histoire cette année. Alors oui moi j'aime bien mettre une majuscule pour éviter toute ambiguïté. Pas facile de me décider lors de ma sélection surtout que ma préférence va bien souvent vers la micro-Histoire, celle où on s'intéresse à un individu souvent pas très connu pour petit à petit déployer les événements qui l'entourent et les analyser sous un autre angle. C'est passionnant et on se détache de cette Histoire qui ne met en avant que les "grands hommes" (en oubliant souvent les femmes) et qui ne correspond pas véritablement à ce qu'est l'Histoire.
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Un village pour aliénés tranquilles est un ouvrage qui m'a bouleversée par la manière dont l'autrice a traité avec douceur et pudeur son sujet. A la fin du XIXe siècle, alors que les établissements psychiatriques sont surpeuplés, des spécialistes réfléchissent à une alternative. Celle-ci consiste à installer les "aliénés tranquilles" contre une rémunération dans des familles de petites villes de campagne. C'est la ville de Dun-sur-Auron qui est choisie pour cette expérience. 
 
Avec des témoignages (familles d'accueil, personnel médical, ...) et archives diverses, Juliette Rigondet nous emporte dans l'histoire de cette première "colonie familiale pour aliénés" principalement des femmes et nous invite à mener une réflexion sur notre rapport à l'autre, celle ou celui qui est considéré·e comme "fou/folle" avec tout ce que terme implique et de l'importance de mettre des guillemets. Je vous invite à lire la chronique qui m'a fait découvrir ce livre sur le site Les Missives
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Le livre de Marie-Hélène Dumas est la première biographie en français de Sylvia Pankhurst. Sa mère, Emmeline (qui a sa statue à côté du palais de Westminster, à Londres) et sa sœur, Christabel sont bien plus connues. Comme cité dans mon article sur cet ouvrage, "la longue bataille de Sylvia Pankhurst pour une société véritablement égalitaire, autogestionnaire, antihiérarchique et antiautoritaire se solde par une défaite. Vaincue, elle va devenir la grande oubliée des suffragettes et de la famille Pankhurst, celle qui longtemps ne sera pas commémorée". Pourtant, son parcours, ses choix, son obstination et ses convictions font de Sylvia Pankhurst une féministe très importante dans l'histoire de ce mouvement et c'est donc un réel plaisir de pouvoir découvrir sa vie passionnante rythmée par ses luttes contre toute forme d'oppression. 
 
Les lectures surprenantes : La tour de Babylone de Ted Chiang et L'homme qui savait la langue des serpents d'Andrus Kivirähk
 

Il y a des lectures où vous vous attendez à ce que ce soit bien quoi qu'il arrive (parce qu'on vous les a conseillées, qu'elles sont connues pour avoir reçu des prix prestigieux, ...) et il y a celles où non seulement vous savez que cela sera intéressant mais qui en plus réussissent à vous surprendre, à vous toucher, à vous émouvoir et même carrément allons-y franco à vous émerveiller. 
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Je m'étais lassée depuis plusieurs années de la science-fiction et donc m'étais peu intéressée à ce qui se faisait dans ce genre littéraire. Quelle erreur ! La tour de Babylone est un recueil de huit nouvelles, des textes surprenants, mêlant pensées scientifiques et philosophiques. Même si certains thèmes abordés sont complexes,  les récits de Ted Chiang sont très humains, très proches de nos interrogations et de nos désirs. On s'interroge sur la morale, nos choix et notre perception des choses. L'auteur va jusqu'à inventer une technique : la calliagnosie. Nous devenons incapables de percevoir la beauté de celles et ceux qui nous entourent. Ce texte, intitulé Aimer ce que l'on voit : un documentaire, nous met face à la relation toxique que nous pouvons avoir avec notre rapport à la beauté tout en laissant le/la lecteur·rice être libre de prendre position car plusieurs points de vue sont développés, ce qui permet d'insister sur la complexité du sujet. Il nous pousse à nous interroger sur la justesse d'une technique qui joue sur notre chimie et inhibe certaines facultés de notre cerveau. 
 
Pour votre culture personnelle, la nouvelle L'histoire de ta vie a été adaptée au cinéma par Denis Villeneuve avec pour titre Premier Contact. J'ai sous le coude un autre recueil de nouvelles de Ted Chiang, Expiration, et je compte bien vous en parler dès que j'aurai pris le temps de le lire. Je m'attends à d'autres beaux moments où mes yeux vont s'écarquiller et où je vais aller de surprise en surprise au fil des pages.
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Je passe maintenant à L'homme qui savait la langue des serpents dont malheureusement je ne réussis jamais à retrouver sans effectuer une petite recherche le nom de l'auteur, qui est estonien. Il faut que je fasse un effort. Le narrateur de ce roman c'est Leemet, il est l'homme qui savait la langue des serpents. Il est celui qui va vous conter son histoire, la fin de son monde, une civilisation qui disparaît au profit d'une autre. La solitude rythme la vie de Leemet.

Un conte, une fable mais aussi un pamphlet avec de la mélancolie, une dose d'humour, une belle part de réalisme magique. Nous rentrons dans ce monde inconnu avec perplexité pour en sortir totalement bouleversé et émerveillé. 


"J'ai attrapé un coup de soleil, un coup d'amour, un coup d'je t'aime" : mes livres préférés de 2020



 
 
Je n'aime pas répondre à la question quel est votre livre préféré car comme pour beaucoup de gens je ne vois pas comment on pourrait, parmi une multitude de bouquins lus ou relus, déterminer le seul, l'unique à retenir. On passe par toutes les émotions d'un livre à un autre, et c'est ce qui les rend tous d'une certaine manière d'autant plus précieux. Cependant, il y aura toujours ceux qui vous ont un peu plus marqués, un peu plus émus, choqués, amusés et que sais-je encore. Me concernant pour 2020, j'ai fixé mon choix sur quatre ouvrages qui ont eu ce petit truc en plus qui a réussi à les distinguer de mes autres lectures.

Quand je ne lis pas, j'écoute des podcasts qui parlent de livres (et je joue aux jeux vidéo). Au cours d'une émission, celle de la salle 101, alors que je travaillais pour justement pouvoir m'offrir de nouveaux pavés dans lesquels me plonger (parce que sinon à quoi ça sert le travail ? ) mes oreilles ont vivement réagi lorsque j'ai entendu un chroniqueur présenter Un gars et son chien à la fin du monde. Rien que le titre déjà c'était tentant. Évidemment, je n'hésite pas une seconde, je passe à la librairie et je me lance.
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La Terre s'est dépeuplée. La Castration a anéanti toutes les civilisations. Il reste quelques survivants dont Griz et sa famille qui vivent sur une île. Un jour, un voyageur vient à passer, reçoit le gîte, le couvert, on discute mais il trompe ses hôtes et s'empare de la chienne de Griz. N'écoutant que son courage et tout l'amour qu'il porte à son animal, Griz poursuit le voleur accompagné de son autre chien et c'est donc le début d'une aventure où notre héros va parcourir les ruines de notre monde. Un pur bonheur cette lecture où le/la lecteur·rice tout comme Griz va de surprise en surprise en découvrant les vestiges de notre passé et puis "si on néglige sa loyauté envers ce qu'on aime, quel intérêt ? Autant perdre la mémoire. Autant ne plus être humain."
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Tout ce que j'aimais est le livre qui m'a amenée à un léger travail d'introspection sur la vie en général. Il y a beaucoup de considérations autour de l'art qui pourraient ennuyer certain·e·s mais au-delà de toutes ces remarques sur le milieu de l'art, on se laisse bercer par le narrateur, Léo, professeur d'Histoire de l'art marié à Erica, elle-même professeure. Une amitié solide avec Bill et son épouse se noue et au fil des pages leur vie se déroule, avec les drames, les joies, les conflits, ... 
 
Une histoire sur ce que la vie nous apporte et peut nous reprendre, nos peurs, nos choix, le temps qui passe bien trop vite et tout ce que l'on ne maîtrise pas. C'est une lecture déroutante car elle commence lentement pour ensuite s'accélérer et basculer dans le roman noir, le polar. J'ai aimé me nicher dans ce livre, un petit cocon où même si les événements, les rebondissements sont souvent durs, eh bien j'ai pendant quelques jours vécu avec ces personnages, j'ai absorbé leurs émotions et c'est là toute la beauté et l'intérêt de la lecture : ressentir.
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Quatorze ans après l'avoir fuie avec sa sœur jumelle Stella, Desiree est de retour dans la petite ville de Mallard, trou perdu impossible à situer sur une carte, où les habitant·e·s, métisses, pourraient très bien passer pour des blanc·che·s. Avec elle, sa fille June, un peu trop voyante au goût de la population locale car sa peau est noire, très noire et dans un pays où la couleur a tant d'importance et vous assigne à une position, a des rôles, vous donne une valeur dans la société eh bien ça dérange, ça interroge. Que s'est-il passé pendant ces quatorze années et où est Stella ? Petit à petit, l'histoire est dévoilée et en parallèle nous suivons le parcours de June, ses rencontres, sa perception du monde dans lequel elle vit et ses choix.

L'autre moitié de soi ne s'arrête pas à la question du racisme, il va beaucoup plus loin. C'est un livre sur les quêtes d'identité. " On ne se trouvait pas comme ça : une identité ça se construisait. Il fallait inventer la personne qu'on voulait être. " Par ailleurs, il aborde des thématiques sur tout ce que l'on s'interdit par peur d'échouer et cela apporte une réelle profondeur à cette lecture qui n'est pas manichéenne, le ton est toujours juste et on s'attache aux personnages, on suit leurs discussions, leurs pensées, leurs désirs et leurs craintes avec attention et beaucoup de tendresse. J'ai versé ma petite larme quand j'ai refermé le livre.
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J'ai gardé le meilleur pour la fin, le livre où je commençais d'abord par sortir le paquet de mouchoirs avant de m'y replonger. L'histoire de Betty, mère blanche et père cherokee. Elle nous raconte l'histoire de sa famille, avec ses ombres et ses secrets tout en partageant la magie des contes et des paroles de son père, toujours présent pour illuminer le regard de ses enfants. Même si Betty " plus que des tortues et des cartes, [aurait] aimé qu'avec son couteau [son père leur] taille assez d'argent pour qu'[ils puissent] s'acheter un passé débarrassé de toute brutalité. "

Les thèmes du racisme et du féminisme sont omniprésents et font de Betty un livre qui va bien au-delà de la simple histoire de famille. C'est un chant d'espoir et de beauté dont chaque phrase, chaque rebondissement sont d'une telle intensité qu'ils vous touchent en plein cœur, cet endroit dans votre corps où les petits coups réguliers sont en fait " le bruit que fait l'oiseau en battant des ailes " .
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Alors, ce bilan vous en pensez quoi ? Il vous donne envie de faire des découvertes, de partager votre ressenti concernant une lecture qui fait partie de ma liste ?  Je culpabilise déjà de ne pas avoir cité d'autres ouvrages que j'ai également appréciés comme le Marseille 73 de Dominique Manotti, Nickel Boys de Colson Whitehead en passant par Un long voyage de Claire Duvivier et Les Furies de Lauren Groff. 

L'année 2021 s'annonce pour moi tout aussi riche en découvertes littéraires de grande qualité et je vais continuer de rester curieuse, de passer d'un polar à un livre d'Histoire, de la fantasy au grand roman américain, d'un comic book à l'essai de sociologie.








 
 
 
 
 

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