Faites entrer l'accusée à la sauce Jaenada: La petite femelle


720 pages. Vous êtes prévenus.

Cependant, une fois la lecture terminée, quelques pages supplémentaires auraient été chaudement accueillies car impossible d'avoir envie de quitter Pauline, l'héroïne de ce bouquin, très utile également pour travailler vos biceps. L'empêcher de s'échapper pour toujours. Ce moment où j'ai fermé le livre, délicatement, fut tellement intense car c'était un adieu, une déchirure. L'histoire était terminée et pourtant encore aujourd'hui elle me poursuit. Soyez prêts, nous sortons les violons. Je vous propose de vous plonger dans une enquête passionnante où se mêlent drame, passion et rancœur.


Une fille du Nord (et je ne ferai aucune blague stupide issue d'un film au succès incompréhensible). Pauline Dubuisson est née en 1927 à Malo-Les-Bains, aujourd'hui l'un des quartiers de Dunkerque. Un père qui aime bien mettre la pression et un brin autoritaire, une mère effacée et terriblement bigote, trois frères. Oui personne ne choisit sa famille. Papa et maman ce sont deux salles, deux ambiances. Cela va évidemment avoir des conséquences sur Pauline et son apprentissage de la vie. Le contexte historique y est d'ailleurs pour beaucoup. A priori, vous êtes tous au courant, je vais donc éviter le cours d'Histoire. La guerre éclate et je vous le rappelle mais Pauline grandit à Dunkerque, pas le lieu le plus paisible pendant cette période. C'est donc l'Occupation, il y a des Allemands partout, sauve-qui-peut. Sauf que le père de Pauline pense qu'il faut toujours se mettre du côté des plus forts et il va pousser sa petite à se rapprocher de l'ennemi. Cela peut rapporter, c'est bon pour le business. Quand je dis se rapprocher ce n'est évidemment pas aller leur faire la lecture ou jouer aux cartes. Pauline couche avec des Allemands. C'est dans le langage dunkerquois de l'époque une salope ou une pute, bref pas quelqu'un de fréquentable. Ah tiens une voix lointaine me souffle qu'en fait une femme qui couche, que ce soit avec l'ennemi pendant la guerre, après une soirée dans un bar, suite à une rencontre sur Tinder,... est de toute façon une salope. Tout va bien.


Cela se passe mal pour notre héroïne qui va être tondue à la Libération. Oui pour une femme peu de différence entre les vainqueurs et les vaincus. Les mecs font de la merde quoi qu'il arrive.

Pauline a été remuée par tous ces événements mais la vie continue et elle décide de se lancer dans des études de médecine. Elle part à Lille où elle rencontre Félix Bailly. Un gars qui a l'air plutôt sympathique mais un peu collant quand même. Il la demande en mariage très rapidement et parce qu'ils ont couché ensemble. Alors oui la jeune femme refuse. Se marier, cela signifie arrêter ses études et tenir le rôle de la bobonne à la maison. Elle a des projets, des ambitions et refuse alors la proposition. Félix fait un peu la gueule et ils finissent par se séparer. Il part à Paris, elle reste à Lille. Tout aurait pu s'arrêter là mais Pauline apprend que son ancien amoureux entretient une relation avec Monique tout en continuant de penser très fort à elle. Elle se rend donc à Paris pour tenter de renouer le contact avec Félix le nice guy. La situation dérape, trois coups de feu et BIM plus de Félix.


Le procès débute en novembre 1953. Pauline va en prendre pour son grade et la presse va s'en donner à cœur joie. L'opinion publique lui est hostile. Elle est présentée comme un monstre, une femme qui ne pleure pas, froide et calculatrice. Cela fait écho aux grandes chasses aux sorcières: une femme qui ne pleure pas est forcément coupable des pires atrocités et puis elle est arrogante, elle ne se laisse pas faire. Je digresse (mais pas aussi bien que Jaenada). Bref, elle est foutue et sera finalement condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Libérée en 1960 pour bonne conduite, elle quitte la France en 1962 pour s'installer au Maroc. Son passé ne la lâche pas, elle finit par se suicider en 1963.


Voilà pour l'histoire façon basique qui ne va pas très loin et n'explique pas grand-chose. Maintenant faisons entrer en scène le livre de Philippe Jaenada sans pour autant trop rentrer dans les détails car je m'en voudrais de tout vous dévoiler.

Ce n'est pas seulement une enquête, c'est une aventure. Très vite, vous êtes contaminés par l'auteur et ses obsessions. Philippe Jaenada a dû remuer ciel et terre afin de pouvoir nous relater la véritable histoire de Pauline Dubuisson. Un travail de fourmi pour rétablir la vérité et nous montrer une autre Pauline. En retraçant sa vie, il nous permet de nous pencher sur des détails sur lesquels personne n'avaient prêtés attention. Rien n'est simple dans ce genre d'histoire et Jaenada nous le prouve clairement. Il ne nous parle pas seulement de Pauline, il fait de l'Histoire sociale, il étale les mécanismes de cette saloperie de patriarcat qui bouffe notre société. Effectivement, Pauline a tué Félix mais que dit ce meurtre en réalité ? Le procès a broyé La petite femelle, l'a écrasée mais grâce à l'acharnement d'un auteur la vérité prend forme et elle fait mal, elle secoue.

Tout cela donne un livre bouleversant où l'auteur sème des notes d'humour et fait preuve d'auto-dérision, allégeant ainsi la tristesse qui vous emporte lorsque vous avancez dans le récit. Jaenada aime digresser et ça peut en agacer certains. Néanmoins, il y a quelque chose de magique car ses digressions ne sont pas là par hasard, elles ont un sens, elles s'emboîtent parfaitement dans le récit, elles subliment celui-ci. Avec ça l'auteur a saupoudré toute la sensibilité dont il est capable et ça y est vous avez un livre parfait.


La lecture de La petite femelle c'est une cascade d'émotions. Sûrement parce que l'histoire est triste, qu'il y a quelque chose de profondément injuste dans ce qui est arrivé à Pauline Dubuisson. Un procès qui a véhiculé tant de mensonges sur cette femme. Cependant, il y autre chose. Je connais beaucoup des lieux parcourus par Pauline. J'ai grandi pas loin de Dunkerque, je suis partie faire mes études à Lille, suis partie vivre à Paris il y a quelques années. J'ai donc pu visualiser facilement les endroits où Pauline est passée et cela a touché d'autant plus la lectrice que je suis. J'ai eu l'impression de la suivre du regard pendant toute ma lecture. C'était beau et triste à la fois. Je vous avais prévenus pour les violons.

A lire

Vous pouvez vous procurer La petite femelle au format poche chez Point pour 9,10€ et sinon si vous préférez les livres qui prennent plus de place eh bien chez Julliard pour 23€.

Vous pouvez également vous jetez sur La Serpe du même auteur, livre très surprenant également et toujours les enquêtes , 8,90€ chez Points et 23€ chez Julliard.

Si les histoires de femmes traitées injustement par la justice vous intéressent, je ne peux que vous conseiller de lire Violette Nozière, la fleur du mal. Une histoire des années 30 chez Champ Vallon, collection Epoques, 27€. C'est du costaud niveau lecture mais passionnant. N'oubliez pas si un sujet vous intéresse mais que le livre vous semble trop compliqué à lire, accrochez-vous et prenez le temps qu'il faut. Il n'y a pas le feu.

Si la lecture vous fait peur ou peut-être que vous ne trouvez prenez pas le temps, les podcasts c'est pratique. Vous pouvez vous tourner vers Affaires sensibles, émission présentée sur France inter par Fabrice Drouelle et peut-être que comme moi vous ne pourrez plus vous passer de cette voix. Vous pourrez ainsi retrouver des émissions traitant de Pauline Dubuisson et de Violette Nozière.

Il est temps pour moi de vous laisser, je n'oublie pas d'éteindre la lumière.




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